CAHIERS DE DOLEANCES 1789

 

CAHIERS  DE  DOLEANCES

DE  LA  PAROISSE  DE  SAINT  HILAIRE  PEYROUX

1789

 

Extraits des cahiers de doléances

de quatre paroisses du Bas-Limousin

par RENE FAGE – Tulle – 1925

Chameyrat – Le Chastang – Cornil – Saint Hilaire Peyroux

Document n° 8 R1 (5) 1925

des Archives Départementales de la Corrèze.

 

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 Cahier des plaintes, doléances et remontrances des habitants de Saint-Hilaire-Peyroux

qui doit être remis à l’Assemblée qui se tiendra, le douze mars 1789,

devant Monsieur le Lieutenant Général en la Sénéchaussée de Tulle.

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FINANCES


La paroisse de Saint-Hilaire du Peyroux fesait partie de la Vicomté de Turenne. En cette qualité, elle jouissait des franchises que les Roys de France avaient toujours confirmées. Depuis l’acquisition qu’en fit le Roy en 1736, les impositions de cette parroisse ont été portées au-dessus du décuple. Il semble cependant que, par cette acquisition, le Roy n’a pu acquérir plus de droit que n’en avait le seigneur vicomte, et les habitants de cette parroisse croient être fondés à se plaindre et à demander justice à cet égard ; néanmoins, à cause du besoin où l’Etat se trouve réduit par l’épuisement de ses finances, les habitants de la dite parroisse voulant donner de plus en plus des preuves de zèle et d’amour pour leur prince, ne demandent, dans ce moment, aucune diminution, sauf à être fait droit et statué sur leur réclamation lorsque les besoins de l’Etat auront cessé ; mais ils demandent en attendant, à titre d’indemnité provisoire, que la somme qu’ils payent soit également répartie sur tous les ecclésiastiques, nobles et privilégiés sous une dénomination unique et moins humilianteque celles de taille, capitation, corvées, ustancile et autres semblables.

Le défaut de grand chemin, bannissant tout commerce de cette parroisse, y entretient la disette d’argent.

Les impôts sont déjà lourds, on est souvent  embarrassé pour payer sa quote à temps. Le receveur des tailles envoie un huissier escorté d’un recors. Ces deux personnages vivant aux dépens de la parroisse et souvent sans se donner le moindre mouvement pour accélérer le recouvrement des deniers royaux ;  quelquefois aussi viennent-ils exercer leur ministère  quoique les redevables ne soient point en arrière, mais parce qu’ils ont cet état, ils veulent en vivre.

Il semble aux habitants de la dite parroisse qu’il serait à propos que le collecteur porte-role fut autorisé, lorsque la nécessité l’y contraindrait, à faire lui-même, avec le secours de ses adjoints, l’exécution des meubles ou bestiaux des redevables qui seraient trop lents à acquitter leur quote, et qu’il en fut encore autorisé à faire la vente des objets saisis le premier dimanche après l’exécution, à l’issue de la messe parroissiale, et le tout sans frais, excepté le cas où il eut été fourni des aliments aux bestiaux exécutés ou que le transport des meubles saisis eut occasionné quelque dépense, dans lequel cas le collecteur retiendrait son déboursé sur le prix des ventes. Il faudrait enfin qu’en cas de rébellion, il fut permis au collecteur de prendre main forte aux dépens des rebelles.

Cette pratique serait, ce semble, d’un avantage réel, et il n’en serait pas, comme il arrive ordinairement, que la valeur des objets saisis est insuffisante pour les frais d’exécution et vente.

Les habitants de la dite parroisse ne connaissent que très imparfaitement la longue route par laquelle les revenus du Rot arrivent dans ses coffres ; mais ils pensent qu’il serait possible et très intéressant d’abréger cette route, parce que les frais de perception qu’on retrancherait tourneraient au profit du Roy qui, dans un temps plus heureux, pourrait diminuer d’autant le fardeau des impositions.

Les dits habitants se permettront d’observer à leur Souverain que s’il est forcé par l’état actuel de ses finances d’exiger de ses sujets une taxe plus considérable, il doit porter cette augmentation sur les gros bénéficiers et les moines rentés qui vivent dans l’opulence et la somptuosité, tandis que tant de chefs de familles respectables se couchent souvent sans savoir par quel moyen ils pourront, le lendemain, se procurer des vivres pour eux et pour leurs enfants.

 

 

AGRICULTURE

 L’agriculture est, sans contredit, l’âme de tous les Etats ; le gouvernement doit donc s’attacher à l’encourager et à l’étendre. Un puissant moyen d’y parvenir serai, ce semble, de supprimer pour l’avenir les solidarités indéfinies qui tiennent les cultivateurs dans une dépendance et une frayeur continuelles, au point qu’ils ignorent, en se couchant, si à leur réveil ils ne seront pas forcés d’abandonner leur foyer pour aller à grand frais s’occuper du recouvrement des arrérages de rente accumulés par l’indolence de leur seigneur, et quelquefois même par un motif d’intérêt : car un petit seigneur, jaloux d’étendre les bornes de ses possessions, peut bien affecter de laisser arrérager sa rente pour mettre son censitaire dans la nécessité de lui vendre certain objet qui a longtemps fait celui de son ambition.

Pour remédier à des inconvénients aussi facheux sans cependant porter préjudice aux seigneurs, il semble aux dits habitants que la solidarité ne devrait avoir lieu que pour l’année courante et que les arrérages devraient prescrire par cinq ans ainsi que ceux des rentes constituées.

Les fonds libérés de cette sujestion augmenteraient en valeur, les ventes en seraient plus fréquentes, les droits féodaux ainsi que les droits de contrôle seraient plus forts et plus répétés.

 

 JUSTICE

 Une justice locale prévient souvent les discussions, une prompte justice les arrête et maintient le bon ordre ; un juge qui réside dans l’étendue de sa juridiction peut voir de ses propres yeux les désordres et les réprimer. Sa présence contient les justiciables. Ce défaut de domicile de la part du juge de la dite parroisse porte le plus grand préjudice aux habitants qui, pour de légères discussions, sont obligés de franchir une distance de trois lieues pour se rendre à la ville de Tulle où tous les membres de leur judicature sont domiciliés.

Les dits habitants pensent donc qu’il serait à propos d’obliger les juges des seigneurs à faire leur résidence dans l’étendue de leur juridiction ; et comme pour faire dignement les fonctions de juge, il faut connaître les lois et la jurisprudence, il conviendrait que tout juge fut gradué.

Les dits habitants pensent de plus que le Roy et leurs seigneurs devraient donner à leurs officiers des gages suffisants pour leur tenir lieu d’épices, afin que les justiciables ne fussent pas dans le cas d’acheter la justice qui par son essence doit être gratuite.

 

 

ADMINISTRATION, COMMERCE

 

La dite parroisse placée entre deux villes, Tulle et Brive, n’a aucun chemin praticable pour voiturer ses denrées dans aucune de ces deux villes. Les habitants sont forcés de se servir, à cette fin, de bêtes de somme et consomment par la fréquence des voyages au moins le quart du prix de leurs denrées en frais de transport.

Les dits habitants ont payé le rachat des corvées depuis 1763 sans profiter d’aucune espèce de route, les fonds des Elections du Bas-Limousin  ont été employés à la construction des routes du Haut-Limousin ; il parait naturel qu’aujourd’hui le Haut-Limousin contribue à la construction des nouvelles routes qu’on peut établir dans le bas pays.

Un grand chemin de Brive à Tulle traversant la présente parroisse, celles de Malemort, Venarsal et Chameyrat, décrirait, ce semble, la ligne la plus courte qu’on puisse tirer de Tulle à Brive. Monsieur l’Intendant, qui avait très bien connu cette vérité, fit piqueter, il y a trois ans, une route qui traversait les susdites parroisses, et ce n’est sans doute que par une surprise faite à sa religion, surprise ménagée par quelque motif d’intérêt ou occasionnée par une contrariété d’esprit de la part des ingénieurs qui ont été employés en grand nombre, qu’on est venu à bout de faire changer Monsieur l’Intendant de direction.

La route de Brive à Tulle, telle qu’on vient de la piqueter, traversant la parroisse de Sainte Féréole, sera incontestablement plus longue de trois quarts de lieues que ne l’aurait été celle qui avait été piquetée sur les fonds de la présente parroisse  ou que toute autre qu’on pourrait y placer.

Les dits habitants insistent donc à ce que leur réclamation soit mise par l’assemblée générale sous les yeux du Roy, s’il est besoin, comme étant fondée sur la justice et l’intérêt général des voyageurs et du commerce.

Dans un village de la dite parroisse, assez considérable, appelé le Peyroux et regardé comme le chef-lieu de la parroisse, il est six foires dans l’année, établies depuis plus d’un siècle. La position de ce lieu se trouve à peu près au point moyen de la distance de Tulle à Brive. Les habitants ne pourraient, sans doute, retirer que le l’avantage à l’établissement de six autres foires, puisqu’ils trouveraient là la consommation de quelques denrées que la difficulté des chemins leur rend peu précieuses, et cet avantage se communiquerait à leurs voisins. Les dits habitants osent donc espérer de la bonté de leur Roy qu’il voudra bien leur accorder l’établissement des dites six foires pour être tenues au dit lieu du Peyroux les 7 mars, 25 juillet, 25 août, 18 septembre, 14 octobre et 13 novembre de chaque année avenir.

Les dits habitants demandent à demeurer réunis à la province de Guienne dont ils font partie, et dans le cas où l’on voudrait la diviser en Etats particuliers, ils demandent le rétablissement des Etats du vicomté de Turenne, des droits, privilèges et exemptions qui leur appartiennent et s’opposent à tout ce qui pourrait être fait de contraire à leurs privilèges, et s’en remettent sur le tout à leurs députés.

Les dits habitants demandent aussi que le pouvoir des présidiaux soit porté à la somme de trois mille livres, tant pour les actions réelles que personnelles et qu’ils jugent en dernier ressort toutes les affaires du petit criminel.

Les dits habitants demandent encore que le casuel des curés soit entièrement supprimé comme étant aussi à la charge à ceux qui le payent qu’humiliant pour ceux qui le reçoivent.

 

 

Signé :

Meynard, Pascal, Duchouché, Vimbelle, Fouliade, Vimbelle, Pascal, Fournet, Pascal, Fouillade, Crémoux, Prat, Pascal, Salviat, Vimbelle, Teyxandier, Bouyge, Monteil, Latreille, Lachaud, Delom,

Delage – ancien curé de Saint-Hilaire,

Latreille – notaire royal, président en l’absence du juge.

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   Texte retranscrit avec l’orthographe et le vocabulaire de l’époque.